5 mai 2011

Voyages...




Avez-vous déjà vécu ces moments là ? Quand tout va mal, que vous n’arrivez à rien? Certains vous diront que c’est une passade. Moi je dis que c’était simplement ma vie. Pourtant j’avais tout pour être heureuse. Enfin c’est ce qu’ils disaient tous.
Oui d’accord je vivais dans une superbe maison, j’avais ma voiture, ma libertés, mes amis. J’étais une bonne élève, souvent première. Comme toutes les ados je sortais avec un superbe garçon. Nicolas, le pitch de notre équipe de baseball. Grand, mince, musclé, brun, les yeux verts, un sourire ravageur ; il était très populaire au lycée. Je l’aimais et lui aussi je crois. Il était doux, attentionné et il avait attendu deux avant que je ne lui dise oui. Je n’ai d’ailleurs jamais regretté.
Mais alors qu’est ce qui clochait ? J’avais une vie de rêve, mes parents n’étaient jamais là, toujours pris par un reportage, un dîner, une réunion. Adéla, notre gouvernante, s’occupait de ma petite sœur et nous vivions tranquillement.
Ma petite sœur. Une vraie petite peste ! A toujours me chiper mes affaires, et à me chercher des ennuies auprès des parents. Mais c’était ma petite sœur et toute chipie qu’elle soit je l’aimais.
Où je veux en venir me direz-vous ?
La vie. Ma vie n’était qu’un enchevêtrement de causes et de conséquences. Parce que mes parents voyageaient beaucoup, ils n’étaient jamais là et sont morts dans un accident d’avion. Oh évidemment dans deux avions différents et à quelques heures d’intervalles. Imaginez ce que c’est que de recevoir un coup de téléphone à 14h vous disant que l’avion de votre père s’est écrasé dans le Pacifique, et que vers 16h un autre coup de téléphone vient vous annoncer que l’avion de votre mère s’est abîmé dans l’Atlantique. Et pourtant ils rentraient pour deux mois de vacances.
Ma petite sœur est tombé en dépression… Quelle drôle d’expression ! Tombée en dépression… Comme si vous ne faisiez qu’une simple chute. Adéla n’arrivait plus à la gérer. J’ai du régler les obsèques et toute la paperasse. Quelques mois après le drame qui a touché notre famille j’ai du envoyer ma sœur chez nos grands-parents paternels et je me suis retrouvée seule.
Seule dans cette immense maison. Seule dans ce couloir si sombre. Tous les soirs je passais devant leur porte, tous les soirs je m’arrêtais la main au-dessus de la poignée et tous les soirs je passais mon chemin. J’allais dans ma chambre, me déshabillais et me couchais. Nuits après nuits je cauchemardais. Je les voyais, les entendaient crier mon nom, mais je ne pouvais pas les sauver.
Petit à petit je me suis coupé du monde. Mes résultats scolaires allaient de mal en pis. Nicolas essayait de me parler, mais rien ne changeait. Pourtant il restait.
J’entendais de plus en plus leurs voix, même pendant la journée. Ils ne me quittaient pas. Mais ils ne voulaient pas m’écouter, ils ne voulaient pas me laisser tranquille, ils voulaient savoir pourquoi ? Pourquoi eux ? Pourquoi je ne les pleurais plus ? Pourquoi je les avais abandonnés ?
Mais ce n’était pas vrai ! C’était eux ! Eux qui n’étaient jamais revenue de leurs voyages. Eux qui avaient promis d’être là pour nous. Et je les entendais. Comment faire pour qu’ils me laissent enfin ?
Ma voie était alors toute tracée. Il ne me restait plus qu’une seule solution.
Ce fut la décision la plus aisée de toute ma vie. Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Même eux me l’avaient dit.
Ce soir là, j’installai des centaines de bougies dans ma salle de bain. Blanches, rouges, noires, elles projetaient des ombres sur les murs et apportaient une lumière chaude et apaisante. Je fis couler un bain chaud avec plein de mousse. Les odeurs de savon et de paraffine se mélangeaient en un parfum exquis.
Alors je me déshabillai, plaçai mon linge dans la panière et me plongeai dans l’eau. Mon corps se réchauffa et se détendit. J’avais mis de la musique. Memories de Within temptation s’alliait parfaitement à l’ambiance. Je me laissais portée par les notes, par les envolées lyriques de la chanteuse.
Je le pris dans ma main. Cet athamé que mon père avait ramené d’Egypte. Sa poignée était le corps d’un roi égyptien dont j’avais oublié le nom, juste avant la lame, un scarabée était sculpté sur des ailes. Le fourreau était décoré de hiéroglyphes. Je sortis doucement l’athamé de sa prison de fer et découvrit la lame à double tranchant, vaguelée et reflétant les flammes des bougies, faisant se répercuter sur les murs des rayons de lumière. Il était magnifique, lourd mais tellement bien équilibré.
Mes yeux parcoururent l’athamé, sa pointe, son fil, sa garde que je tenais dans ma main. Il était le prolongement de mon bras, nous ne faisions qu’un. Lorsque la pointe s’appuya sur mon poignet, je ne ressentis rien. Lorsqu’elle continua sa route en suivant le tracé de ma veine, je ne ressentis rien. Les gens disent qu’il faut être égoïste pour oser mettre fin à ses jours, et je vais vous dire qu’à se moment précis cela fait du bien de ne penser qu’à soit ; de regarder le sang couler. Cette substance rouge si pure. Mes yeux s’émerveillèrent sur les perles de sang qui parsemaient la mousse telles des pétales de rose sur du coton.
Le sang s’écoulait lentement, extirpant de mon corps toute douleur, toute tristesse. Cela me fit rire. Je me sentais enveloppée d’un nuage. Je flottais, laissant ce liquide vital emmener les voix de mes parents, les yeux verts de Nicolas, le rire de ma petite sœur.
Pourquoi avoir peur de ce moment ? C’est comme s’endormir. A mesure que l’eau devenait rouge, ma peau blanchissait, et la chaleur de l’eau me quittait, laissant mes membres froids. Il est dit qu’une lumière nous guide vers l’au-delà. Pour ma part la flamme des bougies ne m’emmenait nulle part. Mon linceul de céramique et de sang m’enveloppait, me gardait. Un voile se forma devant mes yeux, ma respiration devint plus lente, plus difficile. Un râle monta du tréfonds de ma gorge, mon corps s’arc-boutât puis s’affaissa.
J’aurais préféré ne pas rester la bouche ouverte. Mais au moins ma main tenait élégamment l’athamé et mes yeux fixeraient quiconque entrerait dans la salle de bain.

Avez-vous déjà vécu ces moments là ? Quand tout va mal, que vous n’arrivez à rien?
Pour moi ce fut une passade. Pour vous… Lorsque vous irez prendre un bain, si vous entendez un rire féminin en allumant vos bougies, si vous voyez deux émeraudes se refléter dans la mousse, dites-vous que je ne suis pas loin.
Je ne suis pas partie. Lorsque vous ouvrirez la porte de la salle de bain je serais certainement là, à vous regarder. 

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