« Il a été
meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce
qu’il n’y a pas de vérité en lui. Lorsqu’il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, car il est le
menteur et le père du mensonge. »
Jean, chapitre
8, verset 44.
Si j’avais su il y a 200 ans ce que je sais aujourd’hui,
j’aurais réfléchi à deux fois avant de faire quoi que ce soit. Vous vous
demandez ce qui me prend ? Laissez-moi vous conter mon histoire, mais
prenez garde mes amis, car il n’est jamais loin.
Je m’appelle Eléa et
j’ai 20 ans… depuis près de 200 ans.
« Prend soin de
ton prochain » était mon leitmotiv, je prenais beaucoup de plaisir à
m’occuper des autres et cela m’apportait une grande fierté. À l’époque, la
religion avait une place importante dans nos vies, et si vous vouliez accéder
au paradis, vous aviez plutôt intérêt à entretenir votre âme. J’aimais donc
passer du temps dans les hospices et les orphelinats, les personnes âgées ont
beaucoup à nous apporter et la souffrance des enfants est intolérable.
Étant la cinquième
fille de la famille, mes parents, bien que nobles, n’avaient pas les moyens de
me doter et désespéraient de me voir trouver un mari. Ils décidèrent donc que
je rentrerai dans les ordres et je n’y voyais pas d’inconvénient : c’était
juste un moyen supplémentaire de vouer ma vie aux autres. Mais à deux semaines
de prononcer mes vœux, tout bascula.
Mon père me fit rentrer
à la maison car un « comte » Écossais venait de lui demander ma main.
J’ignorais qui c’était, et je n’avais pas mon mot à dire. Il était apparemment
riche et lorsqu’une telle personne s’intéresse à une cinquième fille non-dotée,
on accédait à sa demande, peut importe l’avis de la jeune femme en question. Je
retournais donc chez mes parents. Je fus habillée pour la circonstance et me
mariai avec le Comte par l’intermédiaire de son témoin.
Me marier par
procuration m’avait beaucoup choquée. J’étais jeune et ignorante de ce qu’est
un couple. Les engagements que l’on prend en se mariant étaient sacrés pour
moi. Ce Comte souhaitait m’épouser, mais refusait de venir jusqu’à moi !
Qu’avait-il à cacher ? Était-il donc si laid ? Si vieux ?
Avait-il peur de mon refus ? Je respectais trop mon père pour faire quoi
que ce soit qui aille à l’encontre de ses choix. J’avais ma pensée propre, mais
pas le droit de l’exprimer. Je l’avoue aujourd’hui : j’étais alors, morte
de peur. Ce flou, cet inconnu me déstabilisait. J’avais envie de crier,
d’appeler à l’aide. Alors la nuit qui précéda les noces, je priais. Jusqu’à
l’aube je lançais un appel à Dieu pour qu’il me donne du courage… en vain.
Mes parents m’avaient
donc mariée à un parfait inconnu, et deux jours plus tard, je partis pour les
Orkney en haute Écosse… Au bout du monde.
Je laissais derrière
moi ; mes parents, mes quatre sœurs et ma vie. Le voyage fut très long. Il
y eut tout d’abord la traversée de la France qui dura deux semaines, puis celle
de la Manche, ensuite vinrent l’Angleterre et l’Écosse. Enfin, après un périple
de près de deux mois, j’arrivais enfin sur l’île de Pomona. Je m’endormis dans
la calèche qui m’emmenait vers ma nouvelle maison et ne me réveillais que bien
plus tard allongée dans un grand lit et habillée d’une camisole longue.
Quelques bougies étaient allumées ça et là et répandaient une lumière
intimiste, presque monacale.
La chambre dans
laquelle je me trouvais était des plus simples ; un lit à baldaquins, une
table de chevet et un fauteuil placé sur un magnifique tapis, composaient
l’essentiel du mobilier. Comme je me levais, plusieurs portes s’offraient à
moi, quatre pour être exacte, sans compter les fenêtres… mais l’une était
ouverte sur un immense palier éclairé par un non-moins immense lustre. Celui-ci
était fait de cristaux taillés en forme de flammes qui s’alliaient très bien
avec celles qui dansaient au bout des cierges. Le tapis qui recouvrait le sol
était soyeux sous mes pieds, un peu comme l’herbe après la tombée de la rosée.
Il atténuait le son de mes pas. J’entendais un piano. Quelqu’un jouait une mélodie
rapide et grave avec une grande dextérité. Me laissant guider par cette
musique, je descendis les escaliers jusqu’au hall. Bizarrement sur mon chemin,
je ne croisais ni tableau ni portrait.
Le marbre du hall était
froid sous mes pieds et reflétait la lumière de la lune qui se frayait un
chemin à travers les fenêtres. Une porte était entrouverte et je pouvais voir
la lumière des bougies danser de l’autre côté de cette lourde barrière de bois.
Je ne voulais pas déranger la personne qui jouait, j’avais juste envie de
l’écouter encore et encore. Sa musique était envoûtante, elle me donnait envie
de danser.
─
Entre Eléa.
Sa voix me fit
sursauter, il n’avait pas arrêté de jouer et ne regardait pas en direction de
la porte. Je me souviens de m’être demandée comment il avait su que j’étais
derrière la porte. Aujourd’hui je ne me pose plus la question ! Il sait
toujours où je suis…
J’oubliais complètement
ma tenue inappropriée et mes cheveux en désordre, et entrais dans le salon de
musique. La pièce était un enchantement ! Dans les tons dorés, avec des
tapis rouges et un piano à queue en bois foncé, il s’y dégageait une chaleur intense.
Des centaines de bougies illuminaient la pièce, on aurait dit une voie lactée.
Il était là, majestueux
dans son tartan à dominante rouge. Il ne portait pas de chemise, et Dieu m’en
est témoin, je ne voulais pas savoir ce qu’il y avait sous sa jupe !
Clayton MacKeir était mon mari, je ne l’avais jamais vu, mais je savais
que ce ne pouvait être que lui. Il était magnifique, grand, svelte et musclé,
ses cheveux étaient bruns et mi-longs et ses bras étaient puissants, pourtant
ses mains volaient avec grâce de touches en touches. Il tourna vers moi son
visage, me laissant découvrir ses traits anguleux, ses pommettes saillantes,
son nez fin et ses lèvres charnues sur lesquelles se dessinait un sourire en
coin. Mais le plus intriguant était ses yeux. Ils étaient noirs, mais à
l’époque j’aurais juré y voir un éclat rouge… Je me suis vite rendu compte que
ce n’était pas une hallucination de ma part. Je ne pouvais pas détourner mon
regard du sien ; tel un aimant, il m’attirait à lui et je n’arrivais pas à
résister à cette attraction.
Clayton s’arrêta de
jouer et tendit une main vers moi, m’invitant à le rejoindre. Ce fut comme si
mon corps avait sa pensée propre. Mes jambes se mirent en marche et j’avançais
inexorablement vers lui. Une fois à sa hauteur, mes doigts allèrent trouver les
siens et il les porta à ses lèvres.
─
Magnifique.
Il écarta mon bras afin
de pouvoir mieux apprécier mon corps. Je suppose que la camisole devait être
transparente à la lumière des bougies, car je vis une étincelle dans ses yeux.
Il planta de nouveau
son regard dans le mien et m’attira à lui. Alors que nos corps se lovaient l’un
contre l’autre, je sentis sa main se poser sur ma nuque. J’étais littéralement
hypnotisée par ses yeux, et je ne pouvais ni ne voulais m’en détourner, ni même
le repousser.
Il inclina la tête et
approcha doucement, à croire qu’il ne voulait pas m’effrayer. Quelle bêtise de
croire cela ? J’en ris beaucoup aujourd’hui…
Je sentis ses lèvres
effleurer les miennes. S’attendait-il à ce que je réponde à son baiser ?
Je n’y connaissais strictement rien ! Je pensais que cela ne m’arriverait
jamais ! Sa main raffermit sa prise sur ma nuque et ma taille fut enserrée
de son bras. Une chaleur parcourait mon corps, passant par mes lèvres, ma nuque
et ma taille. À chaque endroit où il me touchait, ma peau me brûlait.
Son baiser tout d’abord
doux, devint plus pressent, plus fougueux et j’y répondais… je me laissais
guider et la luxure prenait peu à peu le contrôle de mon corps.
Ce fut à ce moment là
que j’eus une vision d’enfer. Le don de ma grand-mère avait choisi ce moment
précis pour se manifester.
J’étais dans un lieu
sombre, uniquement éclairé par les torrents de lave qui déferlaient de part et
d’autre de moi. Pieds nus, debout sur une roche qui me brûlait, je regardais
autour de moi. J’étais dans une sorte de grotte dont le plafond était si haut
qu’on aurait pu le prendre pour le ciel. En face de moi, Clayton riait d’un
rire sournois, grave et profond à vous glacer les os. Son corps se vouta et un
bruit de déchirure se fit entendre, d’immenses ailes se déployèrent dans son
dos ; telles celles des chauves-souris, leur membrane était fine et je
pouvais voir les veines rouges gorgées de sang strier leur surface. Lorsque
Clayton me regarda, ses pupilles étaient rouges et son sourire laissait
entrevoir des crocs d’un blanc étrangement éclatant dans ce lieu sombre. Je ne
pouvais le nier, j’étais subjuguée par la magnificence de cet être.
Mais, que voulait dire
cette vision ? Qu’est-ce que ma grand-mère essayait de me faire
comprendre ?
Je compris alors à qui
mes parents m’avaient mariée…
Je repoussais
violemment Clayton. Je pense que seul l’effet de surprise m’a permis de lui
échapper. J’essuyais ma bouche, essayant d’effacer la moindre trace de ce contact
abominable. Alors je me retournais et courus vers la porte. Elle était fermée,
et Clayton déjà devant.
─
Où vas-tu Eléa ?
Sa voix me donnait la
nausée. Je pivotais sur moi-même cherchant désespérément une issue, mais toutes
les fenêtres avaient disparu. La seule sortie était derrière mon mari.
─
Exaudi, Deus, ortionem meam cum déprecor : a
timore inimici éripe animam meam. Gloria Patri. Protexisti(*).
─ Tes
prières ne serviront à rien, il ne peut plus t’entendre à présent. Tu es ma
femme, tu es à moi.
─ Non !
criai-je. Exsurgat Deus, et disipéntur
inimici ejus : et fugiant, qui odérunt eum, a facie ejus. Gloria Patri.
Spiritus Domini(**).
─ Là
tu m’insultes… Je t’ai bien choisie.
─ Pourquoi ?
Pourquoi moi ? Je suis…
─ Une
femme vouée à devenir un ange. Mais j’ai des projets bien plus intéressants à
te proposer.
─ Jamais,
vous m’entendez ? Jamais je ne serai à vous !
─ Trop
tard ! Tu as déjà dis oui, et devant ton cher Dieu. Il a lui-même permis
cette union. Il t’a abandonnée !
─ Faux !
Je ne vous crois pas. Ce n’est pas possible ! Laissez-moi
sortir !
Je commençais à
paniquer. Je voulais m’évader de cette pièce. Partir loin de ce cauchemar. Dieu
ne pouvait pas m’avoir abandonnée. Je lui vouais ma vie. Comment était-ce
possible ? Un ange ; Clayton m’avait dit que je devais devenir un ange.
Mais…
─ Oui
Eléa, continue sur cette voie.
─ Sortez
de ma tête !
Il se mit à rire, un
rire aussi démoniaque que son être lui-même.
─ Allons
Eléa, ne résiste pas. Viens avec moi.
─ Non !
*
* *
C'était
il y a 200 ans, mes parents m’ont mariée au Diable en personne. Depuis ma vie
est un véritable enfer. Parce que je me suis refusée à lui, Satan a fait de moi
un vampire. Un ange avec des crocs. Maintenant je n’ai plus beaucoup de choix à
ma disposition. Soit j’accepte la proposition de mon époux de régner avec
lui ; soit, pour me libérer de la malédiction, j’effectue un acte
profondément méchant et je redeviendrai alors humaine, mais je ne pourrai
jamais rejoindre les cieux, car mon âme serait souillée… Dernière possibilité
pour moi, rester un vampire. Mais Clayton est toujours là et il fait tout ce
qu’il peut pour me faire perdre le contrôle.
En tant que vampire, la
prière et les lieux consacrés me sont défendus. Le soleil, don de Dieu m’est
interdit, sauf au crépuscule car il descend aux enfers. Même si je peux
ingurgiter de la nourriture traditionnelle, elle ne m’apporte pas les
nutriments nécessaires pour palier à ma dégénérescence cellulaire. Ainsi, pour
me nourrir, Satan a fait en sorte que seul le sang possède ce dont j’ai besoin.
Bien-sûr, boire à la source est un grave pêcher, alors autant vous dire que ma
conscience a du mal à s’y habituer… enfin, avait du mal ! Les dons du sang
sont une bénédiction ! Le seul problème qui persiste c’est que le sang
frais est la chose la plus succulente qui soit. Et il est difficile de résister
à la tentation.
On dit que les yeux
sont les reflets de l’âme. Ceux de Clayton reflètent bien la noirceur de la
sienne, s’il en a une, ce dont je doute fort. Mais les miens sont translucides.
Si les gens les voyaient, ils ne verraient que mes pupilles noires se dilater
et rétrécir au gré de la lumière et de mes humeurs. Durant des années, j’ai dû
me faire passer pour aveugle, puis je me décolorais les cheveux pour devenir
albinos, après tout, mes yeux sont toujours injectés de sang. Et enfin, après
tant d’attente, quelqu’un inventa les verres de contact de couleurs. Bien que
je doive sans cesse les réhydrater, mes yeux me portent moins préjudice ! Après
la transformation, le corps ne change plus, il reste tel quel, sauf en ce qui
concerne les yeux donc et les dents. Les crocs sont une donnée du problème et
un problème en eux-mêmes. Ils sortent et se rétractent en fonction de mon
humeur mais surtout de ma faim. Plus je repousse le moment de me sustenter,
plus ils sont visibles et douloureux. Je ne peux que comprendre un bébé qui
passe sa nuit à pleurer et hurler de douleur à cause de ses poussées dentaires.
Mes crocs sont acérés, ils me coupent la lèvre inférieure qui se marque de plus
en plus. Ils sont d’un blanc si éclatant que l’on croirait qu’ils veulent être
vus dans la nuit.
J’ai tout refusé de
Clayton. Son nom, son argent et le reste. Pour vivre, j’ai pu suivre des cours
du soir pour devenir infirmière ; cela me permet de gagner confortablement
ma vie et d’avoir un accès direct à la banque de sang. Je travaille de nuit,
aux urgences et j’enchaîne les gardes autant que possible. Je ne souffre pas de
la fatigue, dormir 30 minutes peut m’être aussi bénéfique que 8 heures. Mais je
ne peux pas travailler tous les jours, cela éveillerai les soupçons et je ne
souhaite pas étaler mon secret au grand jour. La routine s’était installée dans
ma vie et je commençais à croire que Clayton m’avait oubliée.
Un soir parmi tant
d’autres, alors que j’arrivais à l’hôpital peu avant 22h pour commencer ma nuit,
je tombais sur deux hommes dans le parking. Visiblement, l’un deux en voulait à
l’autre. Je m’approchais furtivement et malgré le peu de lumière, je pouvais
parfaitement voir qu’ils se battaient, ou plutôt que l’un battait l’autre et
qu’il ne retenait pas ses coups. Je ne pus m’empêcher de réagir. Une impulsion
me poussa à aider l’homme à terre. J’intervins au moment où l’assaillant se
penchait sur son souffre-douleur. En m’entendant arriver, il se retourna
brusquement, tenant toujours sa victime par le col. Un vampire. Il avait les
yeux rouges de la chasse, ses traits étaient déformés par la soif et ses crocs
avaient atteints leur taille maximale, faisant saigner sa lèvre. Il émit un
grognement à mon égard et abandonna son martyr pour venir se planter devant
moi. Le vampire au fond de moi commençait à ressentir l’appel de l’action et
l’adrénaline se répandit dans mon sang pour me galvaniser.
J’avais appris à me battre
très jeune. Étonnamment, mon père m’encourageait à poursuivre mon instruction.
Il disait qu’il n’y avait pas de mal à apprendre à se défendre, le tout était
de ne jamais porter le premier coup.
En devenant vampire, ma
force s’est décuplée, mais avec elle, la soif de se battre s’en était retrouvée
grandie. J’arrivais encore à me retenir jusqu’à ce que mon adversaire frappe le
premier ; il fallait juste croiser les doigts et prier pour qu’il n’ait
pas la force de me mettre KO.
Le vampire se jeta sur
moi. Je réussis à lui échapper et à me placer entre lui et sa victime. Je
sentis mes crocs s’allonger. Le combat s’engagea de plus belle ; les
pieds, les poings pleuvaient de toutes parts. Je réussissais à parer la plupart
de ses coups, mais pas tous. Il n’était cependant pas en reste, je réussis à
lui infliger un coup à l’estomac qui le plia en deux, et mon uppercut le fit
tomber à terre. Malgré la douleur qui irradiait dans ma main droite, je pus
m’emparer du pieu qui se trouvait dans mon sac et lui enfoncer en plein cœur.
Ses yeux se révulsèrent, un cri strident s’échappa de sa bouche et son corps se
consuma de l’intérieur. Bientôt, il ne resta qu’un tas de cendre qui serait
dispersé au premier passage de voiture.
Il est triste de penser
que je pourrai finir ainsi. « Tu es né poussière et tu retourneras
poussière »… Un comble pour un être condamné à errer dans les limbes.
─ Vous
n’avez rien ?
Je pris une profonde
inspiration et vérifiais que mes canines s’étaient rétractées avant de me
tourner vers la victime. C’était un homme d’une trentaine d’années, plutôt
séduisant. Mais mes yeux furent attirés par un détail inattendu.
J’ai rencontré beaucoup
d’homme de Dieu au cours de ces 200 dernières années. Mais celui-ci…
─ Mademoiselle ?
Je ne m’étais pas rendu
compte que je le dévisageais. Il était hypnotique.
─ C’est
plutôt à moi de vous poser la question.
Mon ton tranchant nous
surprit l’un comme l’autre.
─ Je
n’ai rien… Merci.
─ Bien…
Pouvez-vous rentrer chez vous ?
─ Je
crois, je ne sais pas. Il faudrait dans un premier temps que j’arrive à me
lever.
Il essaya de se mettre debout, mais dés qu’il
commença à se redresser sur ses jambes, il tituba, prêt à tourner de l’œil. Le
choque des coups et l’agression avaient du être plus grave que je ne le
pensais. Je le rattrapais in extrémis.
─ Vous
devriez voir un médecin.
─ Non,
cela devrait aller, j’ai juste besoin de rentrer chez moi. Mais je crains fort
de ne pas y arriver seul. Peut-être auriez-vous l’obligeance de m’accompagner.
J’abuse de votre aide, mais vous êtes la seule qui puisse m’aider à l’heure
actuelle.
─ Un
taxi ?
─ Vous
travaillez pour l’hôpital.
─ Oui
c’est exact mais…
─ Alors
vous serez la seule à-même de me soigner !
─ Il
y a de très bons médecins ici, et je dois prendre mon service.
─ Je
dois vous dire que je vous ai déjà observé, vous êtes infirmière aux urgences,
n’est-ce pas ? Je viens souvent pour confesser, et donner l’extrême-onction.
Et si je me souviens bien, cela fait au moins 4 soirs de suite que vous
travaillez. Ne vous reposez-vous donc jamais ? S’il vous plait, c’est la
dernière chose que je vous demanderai de faire pour moi.
─ Très
bien, j’appellerai en chemin.
Je ne sais pas ce qui
me prit ce soir là. J’aurais pu tout simplement le forcer à aller aux
urgences ! Nous faisons des choix par moment, qui peuvent impliquer
beaucoup de chose. Je crois que j’avais un petit faible pour ses yeux. Mais…
C’était un homme de Dieu bon sang ! Il s’appelait Alexandre. Un prénom
synonyme de grandeur… Je lui demandais pourquoi il avait choisit la voie de Dieu,
mais sa réponse fut évasive. J’aurai presque rit lorsqu’il me soutint avoir
entendu « l’appel »… Je me suis retenue, par respect pour une
vocation qui a tendance à disparaître. Mais je n’imaginais pas qu’un homme
aussi beau puisse être appelé par Dieu… Après tout, tout le monde avait sa
fierté ! Je ne suis pas rancunière, mais si Dieu se souciait vraiment de
ses ouailles, il m’aurait certainement sauvée. Un ange ne peut pas devenir un
démon ! C’est impossible ! Oui j’en étais arrivée à douter de mon
ancienne destinée, j’en étais arrivée à en vouloir à Dieu de me laisser
souffrir ainsi. J’avais tout fait pour qu’il soit fier de moi. J’avais même
décidé de lui vouer ma vie. À croire que Clayton avait réussit finalement.
Alexandre me fit entrer
chez lui. C’était étonnamment moderne pour un appartement de prêtre. Je
l’installais sur le canapé, et partis en quête d’analgésiques et d’un linge
frais. Je trouvais seulement de la crème à base d’arnica et je pris une
serviette que je passais sous l’eau. Lorsque je le rejoignis, Alexandre était
endormi. Je vérifiais son pouls, sa température, et je lui plaçais le linge sur
le front. Il eu une réaction à mes vérifications, je préférais donc le laisser
se reposer. Je pris le temps de visiter les lieux et fus indéniablement attirée
par sa bibliothèque ; outre la littérature liturgique, je trouvais des
romans de tous genres. J’en choisis un sur les vampires… Oui cela m’étonna
aussi, mais comme j’avais besoin de rire… Les livres sur mes congénères sont
très instructifs de la bêtise humaine. Croire que nous ne sommes que des êtres
beaux, qui ne vous apporteront que du sexe de qualité et l’amour éternel, est
une réelle ineptie. Je pense que celui qui me faisait le plus rire était
Dracula. Ah celui-là qu’est ce que j’ai pu en entendre parler. De bête immonde,
il en est arrivé à devenir le fantasme féminin par excellence. Malheureusement,
les vampires ne sont pas si fantasmagoriques que cela et être un vampire est
loin d’être drôle tous les jours. Avez-vous déjà tenté de résister à du
chocolat lorsque que vous en avez sous le nez et que sa senteur vient vous
chatouiller les papilles ? Pensez au met le plus exquis que vous
connaissiez, imaginez que vous l’avez devant vous, avec une fourchette prête à
être utilisée et dîtes vous que vous n’avez pas le droit d’y toucher. C’est la
même chose pour nous en ce qui concerne le sang.
La meilleur façon de
résister à une tentation est d’y céder me direz-vous… Mais si cela vous coûtait
votre vie et votre âme ?
Malgré moi, je
m’assoupis au bout de quelques pages. Je ne sais depuis combien de temps je
dormais, mais je fus réveillée par la sensation d’être observée. J’ouvris les
yeux et je bondis littéralement de mon fauteuil.
─ Que
faites-vous ?
─ Je
vous regardais dormir !
─ Pourquoi ?
─ Parce
que vous sembliez apaisée, je…
─ Ne
refaites plus jamais cela. Vous m’entendez ? Je ne supporte pas que l’on
m’observe ainsi.
─ Très
bien, veuillez m’excuser, je ne pensais pas à mal.
─ Je
vois que vous allez mieux, je vais rentrer chez moi.
─ Attendez !
Vous m’avez ramenée chez moi, et vous avez pris soin de moi. Laissez-moi
au-moins vous remercier comme il se doit !
─ Je
dois partir, je ne…
─ S’il
vous plait, juste un repas.
Il me semblait impossible
de lui tenir tête. À quoi bon discuter ? Avec un rapide coup d’œil par la
fenêtre la plus proche, je me rendis compte que la lune était haute dans le
ciel, et donc qu’il n’était pas si tard que ça.
─ Très
bien.
Il se mit aux
fourneaux, et je m’installais sur le tabouret de bar pour l’observer. Il
maniait le couteau de cuisine avec une grande dextérité, découpant légumes et
viandes à une vitesse vertigineuse. Je sentais son regard se poser sur moi par
intermittences, il me provoquait une chaleur au creux du ventre que je n’aurais
su expliquer. Il m’offrit un verre de vin et m’accompagna tout en surveillant
notre dîner. Nous n’échangeâmes pas de paroles, juste des regards éloquents.
Ses yeux brillaient de malice, ils étaient bleus tel l’océan par une nuit de
pleine lune. Je ne pouvais soutenir son regard brûlant, j’en détournais les
yeux pour reporter mon attention sur mon verre.
─ Alors ?
Les vampires ?
─ Je
vous demande pardon ?
Il fit un signe vers le
livre resté ouvert là où il était tombé lorsque je m’étais levée brutalement.
─ Oh,
ça !
─ Vous
aimez ces histoires ?
─ Disons
qu’elles sont distrayantes. Mais cela reste de la littérature populaire.
─ J’aime
bien le genre vampirique. J’aime la manière dont les écrivains font d’une peur
un mythe.
─ Vous
croyez vraiment qu’ils existent ?
─ Je
suis un homme de Dieu !
─ Ce
n’est pas ce que je vous ai demandé.
─ Et
vous Eléa ? Croyez-vous en quelque chose ?
Sa question me
déstabilisa. Je ne savais plus moi-même si je pouvais croire en Dieu. Les seuls
mythes réels à mes yeux étaient le Diable et les vampires. Mais pouvais-je le
lui avouer ? Avais-je le droit de lui dire que les seules choses dans
lesquelles je croyais étaient parfaitement antinomiques à sa personne
elle-même ?
─ Eléa ?
Il s’était approché de
moi alors que j’étais dans mes pensées.
─ Je
ne crois pas en grand-chose, désolée.
─ Pourquoi
êtes-vous désolée ? La croyance est propre à chacun. Certains ont
plusieurs dieux, d’autres n’en ont qu’un, mais cela ne les empêchent pas de
croire.
─ Je
ne crois pas en Dieu.
─ Vraiment ?
Alors en quoi croyez-vous ?
─ Je ne pense pas que ce soit le bon sujet de
conversation entre nous.
─ Je
suis très ouvert d’esprit et j’aime découvrir la pensée profonde des personnes.
─ Je…
─ Le
diable n’est-ce pas ?
Un frisson me
parcourut.
─ Comment ?
─ Vous
croyez en Satan ? Pourquoi ne pas croire en Dieu dans ce cas là ?
─ Parce
que l’un n’a pas bougé le petit doigt lorsque l’autre a montré le bout de ses
crocs. Je crois que je ferais mieux de m’en aller.
Il me rattrapa par le
bras. Il était décidément très rapide pour un prêtre qui venait de se faire
agresser. Je commençais à avoir des doutes sur son identité. Il m’attira à lui
et plongea ses yeux dans les miens.
─ Qui
êtes-vous ?
─ Alexandre.
─ Vous
n’êtes pas un prêtre.
─ Qu’est
ce qui vous fait croire cela ?
─ Le
fait que vous me reteniez contre vous, et…
─ Je
meurs d’envie de vous embrasser.
─ Non !
─ Pourquoi
résistez-vous à ce que vous ressentez ?
─ Que
savez-vous de ce que je ressens ? Vous ne me connaissez pas.
─ Vos
yeux parlent pour vous. Et vos mains aussi.
Je ne m’étais pas rendu
compte que je touchais son torse.
─ Lâchez-moi,
s’il vous plaît.
─ Non.
Il se pencha vers moi.
Ses lèvres entrèrent en contact avec les miennes. Sa bouche était si douce, si
tentatrice. Je ne pus réprimer un soupir de plaisir. Mes bras se retrouvèrent
autour de son cou et les siens autour de mon corps. Lorsque nos langues
entamèrent une danse voluptueuse, je perdis pied. Mais qu’étais-je en train de
faire ? Ses mains se firent plus pressentes, il me débarrassa de mon pull
et de mon t-shirt, pendant que je réussis à lui ôter sa veste à col blanc. Il
était parfait, doux, prévenant, attentionné. Je ne sais comment je me
retrouvais dans son lit, mais cela m’importait peu. Il me donna du plaisir et
l’extase nous embrasa de concert.
J’avais fait l’amour
avec un homme de Dieu. Quel malheur m’avait prit ? Je l’avais détourné
même un court instant de sa voie. Je ne pouvais m’empêcher de m’en vouloir. Et
si… Non, ce ne pouvait-être un acte foncièrement méchant, après-tout je n’étais
pas la seule fautive. Alors pourquoi est-ce que je me sentais bizarre, presque
nauséeuse ?
Alexandre avait laissé
à mon intention une de ses chemises. Je la revêtis rapidement et retournais
dans le living. Il était là, en train de préparer un petit déjeuner. Les
rideaux étaient tirés. Ils étaient très occultant. Alexandre avait changé, son
visage reflétait la fierté, comme s’il avait réussit quelque chose qu’il
entreprenait depuis longtemps. Il avait le même sourire en coin que…
─ Non.
Non ce n’est pas possible, tu ne…
Et là, ma main se posa
sur mon ventre. Comment avais-je pu passer à côté ? Mon ventre s’était
arrondit. Et à l’intérieur un être bougeait. Je ressentais son bonheur d’être
là. Son amour pour moi, et celui pour son père.
─ Tu
croyais réellement que tu allais pouvoir me fuir éternellement ? Allons Eléa, tu m’appartiens, et tu le sais
très bien. Nous sommes liés l’un à l’autre, ton sang coule dans mes veines et
le mien dans les tiennes. A présent tu portes notre fils.
À mesure qu’il parlait,
il reprenait le visage de Clayton, si beau, si démoniaque. Je m’étais unie avec
lui et de mon plein gré.
─ Non.
Non, non, non ! Pourquoi ? Ne peux-tu pas en engrosser une
autre ?
─ Non
Eléa. Tu m’es promise depuis ta naissance. Tes parents ont bien essayé de te
cacher dans un couvent et de t’inculquer des valeurs, mais un pacte est un
pacte.
─ Je
ne comprends pas.
─ Ta
mère allait mourir à la naissance de Marie, ta sœur aînée. Alors ton père, en
dernier recours, s’est tourné vers moi. En échange de la vie de ta mère, il te
promit à moi.
─ Alors
je ne…
─ Si,
tu serais devenue un ange si je n’étais pas intervenu. Ton destin était double.
Ce soir tu as fait le choix de me rejoindre.
─ J’ai
été trompée ! Tu as joué de subterfuge !
─ J’arrive
toujours à mes fins, tu le sais.
Je m’appelle Eléa et
j’ai 20 ans, depuis près de 200 ans. Je suis mariée au diable et j’attends son
enfant. Pour le bien être d’un proche, j’ai été sacrifiée, mais cela n’a pas
suffit à m’offrir ma place au paradis. Aujourd’hui je règne sur les enfers… Je
me suis offerte à Satan, et je suis à présent condamnée pour l’éternité à boire
du sang, à sentir ce goût cuivré au fond de ma gorge et à aimer ça. Clayton
avait toujours su que je lui reviendrai, c’était écrit m’a-t-il dit.
Je suis un vampire. Un
ange avec des crocs.
Juste absolument génial ! J'apprécie tout particulièrement l'idée de la possibilité qu'un choix puisse changer une destinée. Relier les vampires au diable est une super idée.
RépondreSupprimerOh ! Merci Iris ! ça fait plaisir de voir un tel message le dimanche matin !
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